Un roi débonnaire

Le conte qui suit n’est pas de moi. Son auteur est la surnommée « Nisou » qui avait déjà écrit le texte « juste quelques mètres » que j’avais publié en janvier dernier.
Voici donc ce conte. Il s’agit d’un pamphlet et comme tous les pamphlets, il plaira à certains et déplaira à d’autres. Je le trouve pour ma part très joliment écrit.

Il était une fois un roi débonnaire qui vivait sur un royaume tout de vieilles pierres douces et polies à l’abri de grands arbres, la vie s’écoulait paisiblement des deux côtés de la rivière, sans aucun ennemi héréditaire, nul cataclysme naturel ou guerrier à craindre.

Le peuple parlait surtout des saisons pour se plaindre, trop chaud, trop froid et en accusait parfois les services du roi. C’était un peuple râleur mais pacifique qui, dans l’ensemble remettait sa confiance dans la chose publique qu’il avait choisie depuis un siècle. Attaché viscéralement à son royaume, il ne dédaigna jamais l’avenir, à sa façon un peu libertaire et frondeuse en préservant toujours farouchement son environnement unique et si précieux.

Son royaume était rond, environné de collines avec un cœur serti d’une rivière. Il était envié ailleurs, parfois moqué pour une certaine langueur.
Mais ce peuple chargé d’histoire et plein de bon sens savait prendre son temps. Il soupirait d’aise de rentrer dans son royaume quand il revenait d’ailleurs où la prétendue modernité avait rendu les cités grises et le peuple fatigué et essoufflé.

Un jour sinistre survint, que se passa t -il ? nul ne le sut, certains accusèrent une potion de fiel versée par un méchant conseiller, d’autres le sort jeté par une vouivre délestée de son diamant, ou peut-être les effets d’un vent d’automne pernicieux, bref le roi décida à la seconde qu’il fallait inscrire une œuvre pour sa postérité et imiter son cousin royal du royaume d’à côté.
Il décréta que les calèches ne menaient pas assez bon train bien qu’il ne les empruntait jamais, creusons une faille dit-il pour un long serpent sur rail qui fera ma fierté et qui amusera les sujets qui y seront transportés.
Le peuple intervint, le conseilla, voulut participer à ce projet d’envergure.
Que fichtre d’un peuple ignorant ! Je veux que l’on voit ce serpent, c’est ce qui est important et on le verra là au plus près du cœur serti du royaume.
Le peuple proposa, argumenta, le roi décida. Il se défit des sages conseillers qui lui barrait la route.
Il traça une longue cicatrice au milieu des vieilles pierres chargées de passé, fit arracher des arbres vénérables qui les avaient ornés et chasser hors des murs par des jets de pierre les oiseaux qui y nichaient. Voilà qui est mieux se félicita-t-il, table rase et boule de gomme, c’est pour le bien de mon peuple. Celui-ci gronda, mais le roi fit arrêter les manants, brûla leurs écrits et s’apprêta à rétablir en l’aménageant, l’ancien lieu des exécutions publiques. Il vida son coffre de pièces d’or, emprunta dans tous les autres royaumes, et leva de lourds impôts.
Son royaume si paisible fut mis sens dessus dessous par des travaux gigantesques dont il tenait informé jour après jour ses citoyens par le biais de jolis parchemins dorés. Le peuple murmurait et lui, répétait : tout cela est bon pour vous. Grand seigneur, il tenait des tribunes en personne pour expliquer, expliquer à ce peuple décidément rétif au progrès et ses conseillers au sourire figé approuvaient de la tête.

Seulement, le joli royaume perdait son âme jour après jour, à chaque coup de massue et à chaque mouvement de scie. C’est le cœur du peuple qui était assommé et découpé. Les indigents et impotents ne trouvaient bientôt plus de calèches, les oiseaux n’étaient jamais revenus et le vide s’installait, même le sieur Jouffroy avait été enlevé à l’amour du peuple, par jalousie sans aucun doute.

Le grand serpent fut enfin mis en route, drapeaux et oriflammes saluèrent son passage, entourés de curieux. Il fit vibrer rageusement les dernières vieilles pierres en les menaçant à son passage, transportant quelques goguenards partis se vider une pinte. Il passait et repassait inlassablement, rempli ou non d’un peuple pressé ou désœuvré à l’œil indifférent sur ce qui fut.
Les arbres replantés à la hâte pour consoler le peuple, avaient l’air alanguis de demoiselles maladives qui ne grandiraient jamais soutenus par de grandes béquilles et les passants baissaient la tête en pressant le pas sous les rafales d’un vent glacial ou d’un soleil de plomb. Dans la rivière mugissante, la vouivre attendait sa vengeance.
Les paroles d’un chantre esseulé qui rimait ses strophes avec beauté et progrès se perdirent à jamais dans le souffle du serpent.

Une indicible tristesse s’empara du royaume, un manque indéfini au-delà des yeux que seules les larmes peuvent combler. Le serpent transportait un peuple devenu aveugle des fantômes se reflétant dans le fleuve.

Un jour, le serpent s’immobilisa dans un dernier crissement comme par enchantement ou par panne de courant et de la sciure mêlée de sang de sève, des racines surgirent vengeresses et firent éclater les rails.

Dans sa retraite, le roi attristé par la mélancolie de son peuple retrouva sa bonté et leur demanda en toute humilité ce qui était bon pour eux.

11 réflexions sur « Un roi débonnaire »

  1. Louis Cypher

    1/ ce n’est pas un roi mais un pharaon

    2/ L’auteur de ce texte sera jugé puis exécuté sur place publique, face à la Sainte Maquette, par jour de beau temps et sans vent, afin que ses cris retentissent au loin.

    Ses textes seront brulés.
    Le roi/pharaon diligentera la maréchaussée : toute personne ayant lu ce billet sera identifiée par adresse IP

    Leurs yeux seront crevés
    Leurs langues arrachées
    Leurs doigts amputés

    Afin que jamais cette prose n’aille noircir le dessein du ventripotent souverain.

  2. Milla

    Question : les plus audibles, les plus vindicatifs sont-ils obligatoirement les plus nombreux ? Pas forcément. Représentent-ils donc l’opinion majoritaire ? Pas forcément non plus…

    1. nikko

      Etre audible ne rime pas avec vindicatif, que je sache. Et l’opinion majoritaire, j’aimerais bien la connaître…votre post plein se sous-entendus sibyllins ne fait guère avancer le débat.

  3. fitz

    Beau texte, plein d’humour et aussi d’une grande tristesse, tristesse que je partage. Mais les deux dernières lignes me laissent perplexe: le souverain « attristé par la mélancolie de son peuple ? », et « lui demander humblement ce qui est bon pour eux ? » Diantre, de qui peut-il bien s’agir ?

  4. danopio

    Un conte à endormir debout les petites nenfants de la maison bleue, adossée à la colline, de Le Forestier.
    L’évocation d’un royaume paisible menacé par le tram. Manifestement nous n’avons pas survolé cet « Eden » à la même altitude.
    L’ histoire d’une monarchie devenue mal éclairée. Mais le dernier souverain, TCSP Premier, a été élu par le bon peuple de gauche, puis réélu après avoir présenté son projet en place publique, escorté d’une section de preux Chevaliers de la Sainte Vertitude.
    Vous en appelez à Jouffroy d’Abbans, mais vous auriez pourfendu son Pyroscaphe, il y a deux siècles, pour ses vibrations; tout comme vous auriez déploré, il y a cent ans avec Gaston Coindre, la disparition des taudis, les pieds dans l’eau, du quai d’Arènes où le taux de mortalité était le double de celui de la Boucle.
    Nous ne sommes plus en monarchie d’Ancien Régime. Nous sommes en démocratie participative. Si, si! On ne compte plus les réunions publiques, les comités Théodule, les conseils d’habitants où vous pourriez apprendre la ville, son économie, ses habitants et tenter de faire avancer les schmilblic. Mais c’est moins euphorisant qu’une bleuette azertée sur un coin de table, dans une chambrette sous les toits.

    1. patrick

      Votre ironie sarcastique est à mille lieues du vrai talent poétique de nisou, chez qui on devine un véritable amour pour sa ville; les points que vous évoquez sont justes, c’est facile de vilipender ceux qui paraissent ennemis du progrès, on les baptise « réacs », c’est bien ça ? Quant à la démocratie participative que vous évoquez, elle m’arrache un bien pauvre sourire…mais je préfère « azerter »avec de vrais interlocuteurs comme vous qu’avec certains pédants sur un site concurrent; pédants sur le fond, et niveau 6° pour la forme.

      1. danopio

        la vie publique n’est pas un concours de poèsie. D’ailleurs, en ce monde moderne, la forme l’emporte trop souvent sur le fond, tout comme le détail sur le principal et l’instant sensible sur la mise en perspective. La référence à la démocratie participative peut faire sourire mais il nous faudra bien enfin avancer sur ce chemin là. Passer du statut d’administré à celui de citoyen. Aller au-delà du rituel électoral même agrémenté de référendums occasionnels. La démocratie participative sera ce que nous en ferons. En attendant, les pionniers bénévoles de base ont toute ma sympathie.

        1. patrick

          Bien que votre réponse me soit adressée, c’est le commentaire de nisou ci-dessous qui constitue mon meilleur argumentaire, et je n’ajouterai rien à ce qu’il, ou elle, écrit. Nous voulons bien être citoyens, mais encore faut-il respecter les promesses qui leur sont faites.

          1. patrick

            Pardon pour le post précédent, dernière phrase:  » Nous voulons bien être citoyens, mais encore faut-il respecter les promesses qui NOUS sont faites. » Et j’ajoute que, selon la formule consacrée, « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ».

  5. nisou

    quand la démocratie participative se heurte au monologue d’un grand timonier, elle ne peut plus faire grand chose, quand la démocratie participative est proposée par un programme et n’est finalement pas respectée(les bisontins seront consultés sur tous les grands projets qui engageront la ville)elle n’existe plus, quand on passe en force, et sans respect de ce qui est sensé être protégé(site classé, avis des bâtiments de France) alors la démocratie en prend un sacré coup, quand on glorifie un projet jusqu’au ridicule et qu’on est capable de menacer toute opinion contraire, nous avons là de biens beaux conteurs et des princes qui n’ont rien de charmants

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