Besançon : paie ta soirée en boîte, c’est pour les élections !

A Besançon, nous sommes vachement gâtés pour les élections municipales.

Il y a déjà cette incroyable scoumoune qui entache la campagne du candidat Fousseret et qui fait le bonheur de la presse locale.

Heureusement, nous avons aussi notre petit rayon de soleil : un autre candidat qui a décidé de mener une campagne atypique. Alors que les candidats dits sérieux se livrent au jeu habituel des réunions de campagne et de leur désespérant ratio de 8 militants pour 2 curieux (j’exagère à peine), celui-ci a opté pour la fête. Oui : la fête.

Ce nouveau venu c’est Ismaël Boudjekada. Dix-huit ans à peine et déjà le bagout, les chevilles, les postures gestuelles et langagières des politiciens du lointain XXe siècle. Vidéo :

Bref, Ismaël Boudjekada – si jeune soit-il – a décidé de se présenter aux élections municipales bisontines.
Soyons clair : il est toujours réjouissant de voir des jeunes qui s’engagent et prétendent aspirer au « renouvellement ». Même si en l’occurrence on en est loin, tant sur la forme que sur le fond. Tout cela ressemblant surtout à un grand brassage de vent pour faire parler de soi.

Mais quid de cette campagne atypique et de la fête évoquée plus haut ?

Dans la dernier numéro de la Presse Bisontine, Ismaël Boudjekada explique mener une campagne à pas cher. « Son budget de campagne n’excédera pas 3.500 euros » car il « a fait l’impasse sur une permanence de campagne » et n’a « pas d’agent de communication » … Soit.

« Par contre, Ismaël Boudjekada annonce un événement de campagne baptisé Une autre idée de Besançon. Il se déroulera le samedi 1er mars, place Pasteur puis place de la Révolution avec des concerts gratuits sur une scène. S’ensuivra une soirée à la discothèque la 8ème avenue (désormais BOXX Club) « en présence d’artistes ». Sauf que pour cette soirée, l’entrée sera cette fois payante : 10 euros précise le candidat dans la Presse Bisontine.

La voilà donc la fête : un concert de soutien à la candidature d’Ismaël Boudjekada.
Mouais, sur les places du centre-ville, pourquoi pas. Il y a du passage. Des gens s’arrêteront sans doute, tendront l’oreille et voudront bien prendre un petit tract pour la route. Mais qui paiera 10 euros pour accéder à une soirée électorale dans une boîte de nuit un samedi soir ?

C’est un coup à se retrouver avec le même ratio que les autres ça : 2 curieux pour 8 militants. Et une boîte vide un samedi soir, c’est vraiment ballot.

L’astuce

Mais Ismaël Boudjekada est malin. Il a trouvé l’astuce. Ou en tout cas, il semble le croire.

Voici donc sa recette pour attirer les potentiels électeurs à son événement électoral festif payant (ne manquez surtout pas le point 8) :

1. Créer une page Facebook dédiée à cette événement et la baptiser innocemment : « ÉVÉNEMENT SUR BESANÇON »

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 2. Annoncer un truc de ouf avec des people, tout en évitant soigneusement de dévoiler des éléments concrets

Extrait du descriptif de la page :

L’objectif est simple : mettre sur pied la plus importante des soirées bisontines ! Nos invités de marque seront dévoilés un à un, tout comme nos artistes originaires de Besançon qui assureront le show à leurs côtés !

Ils viendront de Besançon, Toulouse, Paris, Lyon, … vous les avez connus, sur TF1, sur vos chaînes sportives, sur D8, sur Youtube,… Ils seront là pour vous, l’histoire d’une soirée unique ! Photographes (depuis un drone également), cameraman, seront là pour immortaliser cet événement.

 

3. Mener un teasing acharné

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Observer la manière de glisser une information sur l’éventuelle présence d’un artiste connu sans confirmer ni l’infirmer son identité dans les commentaires :
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4. Organiser des petits jeux pour faire GAGNER DES PLACES !

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5. Publier un teaser vidéo aguicheur
[Quelques jours après ce billet, cette vidéo a été effacée. J’en avais fait une sauvegarde que voici.]

Et la capture d’écran de la page Youtube avec la liste des artistes annoncés.

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6. Pour achever de vous convaincre : la bonne action

A SAVOIR : LES BÉNÉFICES SERONT RÉSERVÉS À DIFFÉRENTES ASSOCIATIONS DONT LA PRINCIPALE BÉNÉFICIAIRE SERA ÉLA (Parrainée par Zinedine Zidane).

 

7. Expliquer enfin qu’il ne faut pas trainer

Parce que les places ça part vite vous comprenez. Et donner le lien vers le site qui attend votre carte bleue

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Tiens au passage, c’est plus cher que ce qui a été annoncé à la Presse Bisontine :

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Et voilà le point 8. C’est mon préféré. C’est là que réside toute l’originalité de la démarche :

8. Ne surtout pas informer les participants qu’il s’agit d’un événement… ÉLECTORAL lié à la candidature d’Ismaël Boudjekada aux municipales bisontines

Eh oui ! les gens… accrochez-vous bien : cette information n’est pas indiquée sur la page Facebook de l’événement. Elle ne l’est pas plus dans son descriptif que dans les statuts postés par les organisateurs. Et rien non plus sur la page de vente des billets.

Et pourtant, c’est bien d’un événement de campagne dont il est question. Le principal intéressé la expliqué à la Presse Bisontine et c’est ainsi qu’il l’a commenté sur son profil Facebook personnel en postant le teaser de la soirée :

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J’ai donc moi aussi posé une question sur cette page événement pour avoir des explications.

Embrouille ?

Vis à vis des potentiels clients, c’est clair. Vendre une soirée en boîte en omettant délibérément de préciser qu’il s’agit d’un événement de campagne, c’est juste éthiquement problématique non ?
Cette manière de faire de la politique autrement est prometteuse…

Imaginez un instant la joie des participants ayant déboursé le prix d’une place pour une soirée en boîte avec des people-comme-à-la-télé et se retrouvant – sans en avoir été informés – dans un happening politique déguisé. Et ce même s’il ne s’agit pas de transformer la soirée en meeting mais juste au candidat de se faire un peu mousser en présence d’artistes-vus-sur-Youtube.
Pour sûr, ces veinards ressortiront avec une haute idée du renouvellement en politique.

Si l’on en croit les différents statuts publiés par les organisateurs, 1000 places sont disponibles et il n’en resterait plus que 100.
Feignons un instant de croire en l’authenticité de ces chiffres : déjà 900 personnes auraient acheté une place pour cette soirée sans avoir été informées de sa nature politique.

Et au fait, comment seront payés les artistes promis ?

Dans la Presse Bisontine, Ismaël Boudjekada précise :

Les artistes viennent gracieusement. Je vais dépenser moins de 1 000 euros pour leur déplacement.

Trop sympas ces artistes ! Alors comme ça, ils viennent gratuitement soutenir notre candidat aux élections municipales ?
À moins qu’eux aussi – tout comme les potentiels clients de la soirée (ou potentiels citoyens électeurs, on ne sait plus) – aient « oublié d’être prévenus » de la réalité de ce coup de campagne. Ce serait quand même ballot. On n’ose pas l’imaginer.

Quid des risques juridiques en période de campagne ?

La loi électorale ne précise rien sur ce genre de situation. Organiser un événement électoral « qui ne se dit pas » et que l’on déguise en soirée festive payante semble avoir échappé jusque là au législateur. C’est là que notre candidat innove.

En revanche, là où notre candidat pourrait se placer en situation délicate vis à vis de la loi, c’est au regard du financement de cette soirée et donc… de sa campagne.
Voici ce qu’affirmait Ismaël Boudjekada dans la Presse Bisontine à propos du financement de cette soirée :

Nous avons fonctionné uniquement dans le cadre de partenariats. Par exemple, mes T-shirts à l’effigie de notre liste nous sont offerts par un commerçant.

Les T-shirts c’est juste un exemple donc. On imagine alors qu’il y a eu d’autres cadeaux du même type en provenance de commerces ou d’entreprises. La mise à disposition de la 8ème avenue peut-être ? Notre candidat appelle cela des « partenariats ».

Sauf que voilà, il y a dans le Code électoral ce fichu article L 52-8 qui dit :

Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués.

Traduction : il est interdit pour une personne morale publique ou privée (c’est le cas d’un commerce) de faire un don d’argent, de service ou de matériel (des T-shirts par exemple) au profit de la campagne d’un candidat.

Il semblerait que la campagne pas chère d’Ismaël Boudjekada pourrait finalement lui coûter plus cher que prévu.

Des explications pas convaincantes

J’ai interrogé Ismaël Boudjekada sur Twitter pour avoir quelques explications :

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Réponse :

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Vérifions sur le site d’achat en ligne.
En un clic, on arrive au formulaire nous invitant à saisir les données de notre carte bleue. Aucune mention d’Ismaël Boudjekada et de « qui il est ». On achète les billets sans être informés.

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Autre tentative d’explication :

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Pourtant, le 27 janvier, un petit curieux demande des informations sur les organisateurs de l’événement. On lui donne deux noms.

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En évitant soigneusement de préciser les liens avec la campagne électorale en cours et de lui donner les positions des deux protagonistes dans la liste présentée aux municipales. Les voici :

liste

 

Soyons clairs, l’initiative d’organiser une soirée festive sur Besançon est une bonne chose. Toutefois, le faire en temps de campagne alors qu’on est soi-même candidat et raconter dans la presse qu’il s’agit d’un événement lié à cette candidature est au mieux maladroit, au pire très risqué. Car en matière de contentieux lié au financement des campagnes électorales, la jurisprudence n’est pas tendre.

Alors bien sûr, après ça, Ismaël Boudjekada essaiera de nous convaincre que l’après-midi c’est gratuit (campagne) et que le soir c’est payant (pas campagne). En contradiction totale avec ce qu’il avait raconté dans la presse.
Il tentera aussi de nous expliquer que ces fameux T-shirts n’ont finalement jamais existé. Que c’est la presse qui a publié trop vite. Evidemment.

Ah tiens ! C’est fait :

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Allez ! Vivement un vrai renouvellement sincère et honnête des pratiques politiques. On comptera sur d’autres pour cela.

Pour aller plus loin

Je vous invite à lire les échanges sous ce post que j’ai publié sur la page de l’événement. Mais aussi l’échange sur Twitter avec Ismaël Boudjekada.

 

 

 

6 réflexions sur « Besançon : paie ta soirée en boîte, c’est pour les élections ! »

  1. Yvan SOMMER

    D’un point de vue politique, c’est mauvais.
    D’un point de vue du positionnement, c’est mauvais.
    Et maintenant d’un point de vue comptable ?

    Au moins ça présence prouve qu’il est possible de faire, correctement ou non, de la politique, quelque soit son âge.

    La question reste cependant, pourquoi reproduire inlassablement les codes de conduites des anciens, vieux loups de la politique.

    C’est à la fois un hommage et une caricature maladroite.

  2. Boxx Club

    Concernant l’aspect entrée payante : l’entrée du Boxx Club est gratuite avant une heure du matin, aussi bien le vendredi que le samedi soir, puis 10€ avec une consommation, y compris ce samedi 1er mars.
    La venue des artistes après ces concerts au centre-ville nous a été présenté comme un after-show, pratique courante à notre domaine d’activité.
    Dès le début des discussions, nous avions convenu qu’aucune prise de parole publique, qu’aucune distribution de prospectus et qu’aucun signe politique ne seront tolérés durant la soirée en notre établissement, établissement se voulant apolitique. De plus, aucun des artistes ne se seraient produits sur la scène du Boxx.
    Nous nous devons également de préciser qu’aucune contre-partie financière ou en nature n’a été envisagé pour cet after-show.
    Concernant votre question ouverte quant à la mise à disposition de notre établissement, nous tenons à préciser qu’il n’a jamais été question de privatiser le Boxx Club (ex 8ème Avenue).
    Pour faire suite aux différentes réactions, notre établissement a pris la décision de ne pas accueillir ce événement.

  3. Jean Louis

    Mais Ismael imagine qu’il peut conduire une campagne électorale comme s’il faisait des courses au monoprix, en prenant les bisontins pour de la marchandise maléable.

    Il oublie une chose, les électeurs ne sont pas débiles et savent très bien a qui ils ont affaire.

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