Dimanche dernier, j’étais invité chez ma sœur pour fêter les cinq ans de son fils Polo. Si vous maîtrisez les bases de la généalogie et du darwinisme, vous aurez certainement compris que Polo – le fils de ma soeur – est aussi mon neveu à moi.
Je l’aime bien le petit Polo. Il est marrant ce gosse. Lui c’est un passionné de mécanique et de bricolage. Tout moi à l’envers en somme. Parce que moi, avec la bricole et les outils, je suis plutôt du genre à avoir deux mains gauches dans une paire de gants de boxe.
Polo lui, il aime les bidules qui roulent, les trucs qui flottent et les machins qui volent, les poulies qui grincent, les engrenages qui tournent, les moteurs, les machines et véhicules en tous genres.
C’est clair que pour Polo, le chantier du tramway de Besançon c’est mieux qu’Europa Park. On le pose entre une foreuse et un camion-benne et le Polo, il bronche plus. Il observe, il fait le plein d’émotions. Le chantier du tram fait au moins un heureux à Besançon.
Dimanche donc, c’était son anniversaire à Polo et le brave tonton que je suis arrive un peu avant midi avec dans les bras un cadeau, comme il se doit.
Un gros paquet que mon Polo déballe sans traîner avec une excitation non feinte. Le papier vole dans toute la pièce et là… je vois son visage qui s’allume. Et l’ampoule qui éclaire son visage poupin, c’est son sourire d’enfant (violons). Un sourire qui va littéralement de son oreille gauche à son oreille droite. À moins que ce soit le contraire, je ne sais plus.
Le cadeau de Polo donc ; c’était un train électrique. Si si ça existe encore ces trucs-là. Un vrai hein ! Avec la locomotive (une BB 26000 orange et grise, un pure modèle des années 80), et puis quatre wagons, une petit gare et des rails à assembler pour faire une chouette voie ferrée dans la chambre de Polo.
Allez ! Ni une ni deux, on s’y colle avec mon neveu. Et pendant qu’il admire sa locomotive et repère le système de fixation des wagons, moi je tente de m’occuper des rails. Oui je sais, je suis un boulet en bricolage mais bon, je suis un bon tonton avant tout, alors au moins j’essaie.
J’allais donc commencer le montage de la voie ferrée quand…
DING DONG !
On sonne à l’entrée (vous l’aurez compris). Trente secondes plus tard, ma soeur déboule avec un air perplexe : « C’est quelqu’un pour vous les garçons ! ».
Elle s’écarte et une homme de stature pour le moins ventripotente entre alors dans la chambre. Il n’est pas très grand et il a sur la tête une sorte de brushing de cheveux gris blancs, plus blancs que gris d’ailleurs. Il porte un costume, une cravate rouge et il a le sourire courtois. Je le connais ce type, c’est évident. Je le vois souvent mais impossible de mettre un nom sur son visage.
C’est la situation gênante par excellence ça. Et ça m’arrive régulièrement. Il suffit que je rencontre une connaissance dans un contexte autre que celui où je la fréquente habituellement et paf… impossible de me rappeler de qui il s’agit. Ça me l’a fait l’année dernière au salon de l’érotisme avec l’instit de mon gosse. C’était très gênant.
J’en reviens à l’intrus dans la chambre de Polo. Voilà qu’il me tend la main avec un grand sourire. C’est sûr on se connait, bon sang !
C’est alors que Polo se glisse entre nous, il lève les yeux vers l’homme, l’observe quelques instants et me dit : « C’est le monsieur des toilettes, tonton ! » Je lui fais les gros yeux : « Polo enfin quoi ! ».
Il insiste « C’est le monsieur qui est dans les journals des toilettes ! »
Ouais, l’orthographe n’est pas son fort à Polo. N’empêche, grâce à lui, j’ai compris brusquement qui était notre inconnu. Bon sang mais c’est bien sûr ! Nom d’un petit bonhomme ! Euréka ! Dans les toilettes des Bisontins, il y a toujours cette revue que personne ne lit à part aux toilettes justement : le BVV ! Notre journal municipal à nous les Bisontins ! Et cet homme, oui cet homme qui est là dans le chambre de mon neveu Polo. Cet homme, évidemment que je l’ai déjà vu. Cet homme c’est Jean-Louis FOUSSERET ! Non mais dingue ! Le Maire de Besançon dans la chambre de Polo !
« Mais qu’est-ce que vous faites là Jean-Louis Fousseret ?
– Eh bien, je viens pour la pose du premier rail… Vous alliez bien poser le premier rail ?
– Fichtre ! C’est sérieux ? »
Alors tout s’est enchainé très vite. Deux autres hommes sont entrés dans la chambre. Eux aussi portaient des costards. Le premier des deux m’a lancé un regard complice accompagné d’une petite moue gênée et d’un haussement d’épaule discret. C’est fou comme certaines mimiques peuvent se suffire à elles-mêmes. En tout cas j’y ai lu clairement « Ne vous inquiétez pas allez, ça durera pas longtemps et ça lui fait tellement plaisir à Jean-Louis vous savez ».
Le deuxième homme lui, tenait un appareil photo. Il n’a d’ailleurs pas tardé à s’en servir puisqu’à côté de nous, Jean-Louis Fousseret s’était déjà agenouillé.
Je ne soupçonnais pas une telle souplesse municipale…
Il a alors assemblé les deux premiers rails d’un coup comme ça. Clic ! On aurait dit qu’il avait fait ça toute sa vie. C’était impressionnant. À cet instant, sur son visage, j’ai reconnu le sourire qu’arborait Polo tout à l’heure. D’une oreille à l’autre ; tout pareil.
Notre maire s’est alors relevé. Il m’a à nouveau serré la main et il a fait pareil avec Polo qui était trop fier. Et puis il a ajouté : « Surtout vous m’appelez quand c’est fini, hein ? Je viendrais l’inaugurer. Vous promettez ? »
J’ai dit :« Promis m’sieur l’maire… »
Et puis ils sont partis comme ils étaient venus. Et on s’est retrouvés tous les deux avec Polo. On s’est regardés, encore interloqués et Polo a dit :
« Dis Tonton, le monsieur il a fait ça parce qu’il en a pas de train à lui ?
– Oui Polo. En fait tu sais il aura un train à lui mais seulement dans trois ans. Un petit train tout bleu qui doit venir d’Espagne. Le monsieur est juste un peu impatient… »
Alors avec Polo, on a terminé le montage de la voie ferrée et on n’a pas rappelé Jean-Louis Fousseret. Je sais bien que j’avais promis mais faut quand même pas déconner.
Et puis le petit train de Polo c’est une affaire de famille.
Cette chronique a été écrite pour l’épisode 2 de l’émission radiophonique bisontine « Vous reprendrez bien un peu de purée ? » diffusée en direct sur Radio Bip le samedi soir à 20h30. Comment ? Vous ne connaissez pas encore ?
L’émission est à écouter grâce au player ci-dessous ou à télécharger en mp3 :