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Le député Grosperrin contre les archaïsmes… tout contre

Le choix d’une image n’est jamais tout à fait anodin…

Jacques Grosperrin c’est le député UMP sortant de la deuxième circonscription du Doubs. À l’Assemblée nationale, il est membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Le monsieur est également « Secrétaire national chargé des politiques éducatives » à l’UMP.

Il connaît bien le terrain M.Grosperrin. Enfin… il connaît bien le dojo (judoka émérite) et les bancs de la fac puisqu’il est professeur agrégé d’Education Physique et a enseigné à l’Université de Franche-Comté.
D’ailleurs Jacques Grosperrin aime à jouer sur le registre « je sais ce que c’est d’enseigner ». Ça lui confère une certaine légitimité pour faire la leçon sur l’éducation. Il diffère de l’archétype de l’homme de droite venant du secteur privé et tapant sur « le gros mammouth et les vilains enseignants fonctionnaires qui coûtent cher et sont toujours en vacances« .  Non, Jacques Grosperrin se présente comme quelqu’un qui connaît bien le système éducatif puisqu’il en est lui-même issu. Du pain béni pour l’UMP. Et tant pis si le métier d’instit ou de prof en collège est bien différent de celui de professeur de fac qu’a exercé M.Grosperrin. Ça il feint de ne pas s’en rendre compte. À moins qu’il y croie vraiment… ce qui serait très inquiétant.

En tout cas, Jacques Grosperrin aime parler d’éducation :

C’est donc M.Grosperrin qui est envoyé au charbon par l’UMP lorsqu’il s’agit de déposer des propositions de loi qui chatouillent les enseignants. Vous pensez bien, un enseignant…
Ce fut le cas en février dernier lorsqu’il a présenté un texte enterrant les IUFM (les instituts universitaires de formation des maîtres) et ouvrant habilement la voie au secteur privé pour former les enseignants. Tollé mais texte adopté.

Ce mardi 29 février, Jacques Grosperrin a publié sur son blog un billet dans lequel il salue avec enthousiasme le discours de Nicolas Sarkozy à Montpellier — discours dans lequel le Président de la République a interprété sa bonne vieille mélodie de campagne : l’air bien connu des « enseignants feignasses » . Ça plait toujours à un certain électorat ça.

Extrait :

« Comme l’a souligné Nicolas Sarkozy, si le nombre d’enseignants était le problème, nous devrions avoir la meilleure école du monde… « 

Moi ça m’épate cette puissance d’analyse. Ça montre bien qu’il faut être sacrément finaud pour être député. C’est pas donné à tout le monde ça. Tout devient tellement clair sous la plume de notre député-enseignant :

nous n’avons pas pas la meilleure école du monde -> réduisons le nombre d’enseignants -> ça ira mieux après

Tiens, comme Monsieur Grosperrin est également un sportif reconnu, il serait tout à fait pertinent de lui confier des fonctions du côté du sport justement. Pour le cas où Nicolas Sarkozy serait réélu en mai prochain évidemment. Évidemment.
Non parce qu’avec un tel esprit d’analyse, on gagne la prochaine coupe du monde de foot, assurément. On demande à M.Grosperrin un diagnostic et une solution… et bingo :

notre équipe de France n’est pas la meilleure du monde (loin s’en faut) -> réduisons le nombre de joueurs -> à 5 ou 6 ils seront vachement plus efficaces

CQFD

Autre extrait du billet de M.Grosperrin sur le fait que Nicolas Sarkozy veut que les professeurs travaillent plus longtemps dans leurs établissements en échange d’une prime en euros :

« (…) De nombreux Français aimeraient qu’on leur fasse une telle suggestion. Cette application concrète du fameux ‘‘travailler plus pour gagner plus ’’ résulte d’un souci de progrès qui ne peut rebuter que les esprits étroits et sclérosés. »

(Claude Allègre, sors du corps de ce député !)

« Je partage entièrement l’opinion de Nicolas Sarkozy quand il s’élève contre ‘‘le corporatisme’’ et contre le ‘‘collège unique’’, prônant l’autorité du ‘‘maître’’. Il n’est pas inutile non plus de rappeler que l’autorité n’est pas un mot tabou ! »

Sous-entendu : vous comprenez, tous les profs sont des gauchistes soixante-huitards. Ils ne savent plus faire preuve d’autorité envers leurs élèves. Et pendant qu’on y est, les gosses sont des sauvageons de nos jours ma p’tite dame.

Et pour terminer :

« À l’heure où la concurrence mondiale est impitoyable, la qualité de l’enseignement doit être à la hauteur du défi et passe par l’apprentissage dans la discipline. Nicolas Sarkozy incarne la modernité et la lutte contre les archaïsmes. »

Pan ! Vlan ! Paf ! Ça c’est pour les syndicats et tous les vieux gauchos qui polluent l’Éducation nationale. Non mais !

Une p’tite photo ?

Bon. C’est pas tout ça, mais un billet de blog ça s’illustre. Et quoi de mieux que la photographie d’une salle de classe dans un billet sur l’éducation ?
Pour illustrer son soutien à Nicolas Sarkozy dans sa lutte pour la modernité et contre les archaïsmes, Jacques Grosperrin aurait pu choisir ceci :

Mais non. Ils ont l’air trop dissipés ces gamins.

Alors cela ?

Arf… non. On voit une marque. On est bien loin de l’uniforme là.

Ou bien ça ?

Non, non… trop d’élèves. Ne pas inquiéter nos électeurs.
Ils ont des petits-enfants tout de même…

Non ! Non ! Non ! Ces classes-là ce n’est pas ça l’école que l’UMP souhaite vendre à son électorat. Alors Jacques Grosperrin a trouvé LA classe parfaite. La mieux à même d’illustrer son combat pour « la modernité et contre les archaïsme » :


Ça c’est une vraie classe ! Une bonne vieille classe de l’école d’autrefois. Celle de la Guerre des Boutons et de la nostalgie de mamie Ginette.
Une classe avec des pupitres en bois, des petits encriers et des plumes Sergent Major. Une classe avec de vrais tableaux noirs parcourus des pleins et des déliés tracés à la craie par un véritable maître comme on n’en forme plus de nos jours (saleté d’IUFM). Un maître avec une baguette, une blouse grise et toute une collection de maximes.
Dans les pupitres, il y a sans doute d’anciens livres de géographie dans lesquels on apprenait les chefs-lieux et les numéros des départements par cœur. Ah ! on savait préparer les petits Français à la vraie vie à l’époque. Aujourd’hui les gosses apprennent peut-être à mettre en relation des documents (cartes, textes, chiffres) et à les analyser, mais sont-ils seulement capables de dire que la voiture immatriculée 62 qui est là — juste devant le véhicule parental — vient du Pas-de-Calais, chef-lieu Arras, production agricole de chicorée, orge, betteraves ?

Cette photographie choisie par M.Grosperrin pour illustrer son billet, n’a rien d’anodin. Au mieux c’est un lapsus révélateur. Au pire c’est un choix délibéré.
C’est le choix d’un fantasme. Le fantasme nostalgique d’une école qui n’existe plus parce que le monde lui aussi a changé.
Le fantasme de l’uniforme, des garçons d’un côté et des filles de l’autre. Le fantasme du maître assis derrière son bureau et de l’élève que l’on remplit d’un savoir transmis mécaniquement. Pas besoin de pédagogie pour ça. Pas besoin de formation non plus. Juste des connaissances disciplinaires.
Cette classe, c’est le fantasme de l’éducation du claquement de doigts, du « y’a qu’à faire comme ça », comme avant. C’était bien avant. C’est toujours bien dans les souvenirs de mamie Ginette.

Mais d’où vient cette photographie ?

Elle vient d’un site faisant la promotion du tourisme en Bretagne. Ce site nous suggère de visiter le musée de l’école Bothoa dans les Côtes d’Armor.
En voici le descriptif :

Dans l’ancienne école du bourg de Bothoa, dans les Côtes-d’Armor, retrouvez l’ambiance à la fois studieuse et nostalgique d’une salle de classe rurale des années 1930 : pupitres de bois ciré, odeur de craie et d’encre violette. Retrouvez la dictée, la morale, le calcul ou l’écriture à la plume. Dans une salle de classe, visitez l’exposition consacrée à l’école de Bothoa : photos de classe, film réalisé dans l’école en 1962, diplômes… La deuxième classe a été transformée en salle d’expositions temporaires. Au fond de la cour, se dresse la maison de fonction des maîtres : on y a recréé le cadre de vie de la première maîtresse qui habita les lieux de 1931 à 1947. Parmi ses objets et son mobilier, vous êtes plongé 80 ans en arrière.

80 ans en arrière, dans une classe vide donc. Les archaïsmes c’est mal n’est-ce pas Monsieur le député ? La modernité… vous disiez ?

Tiens au fait, Monsieur Grosperrin, pour visiter cette douce école-musée, le saviez-vous ? Il faut payer :

Pourtant c’était une école publique autrefois l’école de Bothoa. Tout se privatise de nos jours… Mais c’est pour le bien de l’éducation n’est-ce pas Monsieur Grosperrin ? C’est ça la « classe ».

Pour aller plus loin :