Le tram de Besançon pris en flagrant « déni » de pavés chinois

Ce mercredi 6 novembre, nous découvrions dans l’Est Républicain un article sur les ouvriers qui posent les pavés sur le parcours du tramway de Besançon.

On y lisait notamment ce passage dans lequel Jean-Charle Cuenot, directeur du groupement en charge de la pose des pavés, explique :

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La partie surlignée en jaune n’a pas échappé à Michel Omouri (conseiller municipal UMP) qui publie le 8/11 un billet en forme de communiqué sur son blog.
Et voilà notre élu qui s’indigne de ces emplois occupés par des « paveurs portugais méritants ». Et de poursuivre en pestant contre ces « pavés chinois low-cost » . Et d’extrapoler enfin avec ironie sur « la qualité connue des productions chinoises » .

C’est de bonne guerre. Michel Omouri est élu d’opposition et nous sommes en pleine campagne pour les Municipales. Toute polémique est bonne à prendre. Mais disons-le, venant d’un sarkozyste patenté, le coup de la vierge effarouchée par le grand vilain libéralisme, c’est assez bluffant.

Des pavés chinois ?

paves (2 sur 1)De mon côté cela fait déjà quelques mois que je collecte des informations sur ces fameux pavés. Ils m’ont attiré l’œil dès le mois de mars dernier quand ils ont été stockés de manière très photogénique sur la place de la Révolution.

Comme vous l’avez peut-être déjà remarqué, les palettes sur lesquelles nos pavés sont conditionnés portent toutes une affichette. On y trouve des informations sur leur type, leur référence, le code correspondant à leur coloris, leurs dimensions et… leur provenance.

Exemple d’une affichette photographiée place de la Révolution en mars 2013. Observez le logo en haut à droite ainsi que les lettres soulignées.

affichette

XMSXD c’est Xiamen San Xiang Da, une société chinoise poids lourd de l’export de granit chinois vers le reste du monde. Extrait de la page de présentation de leur site Web :

Les pierres proposées proviennent principalement de Fujian, Shandong, Hebei, Nanjing, Guangdong etc.
Aujourd’hui SANXIANGDA exporte aux quatre coins du monde et notamment en France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Espagne, Nouvelle-Zélande, Maroc, Algérie, Portugal, Italie, Suisse, Grèce, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Australie, Corée, Japon, Brésil, Dubai etc. La capacité d’exportation de SANXIANGDA est d’environ 3,000 containers par an.

Tiens, au passage, une information qui devrait en partie consoler Michel Omouri : Xiamen San Xiang Da est une filiale du groupe français VM Matériaux à Xiamen.

Alors ces pavés chinois, une surprise ?

Si Michel Omouri avait lu plus attentivement l’Est Républicain du 24/11/2012, il aurait déjà pu lancer cette polémique il y a presque un an. On y lisait un article de Serge Lacroix en forme de compte-rendu d’une matinée où la presse était invitée « par Jean-Louis Fousseret, en sa qualité de président de l’agglomération, à venir découvrir les quelques 14,5 kilomètres de tracé du chantier du tramway » .

À la fin de ce billet, nous apprenions :

Le tronçon Est, quant à lui, prend plus de temps, sauf place de la Révolution où les travaux de dallage seront les seuls à utiliser des pavés de Chine, pour être raccord. Ailleurs, les pavés viennent d’Espagne ou du Portugal.

Donc rien de nouveau sous le soleil. Les pavés chinois de la place de la Révolution étaient annoncés il y a un an déjà.

Les explications officielles

Le jour suivant le communiqué de Michel Omouri, un nouvel article paraît dans l’Est Républicain. Il revient sur cette polémique et donne la parole à Pascal Gudefin – chef du projet Tram – qui s’efforce de désamorcer en expliquant :

« Nous sommes dans un système économique li­béral (…) où s’exerce la libre concurrence. Pour tout projet d’aménagement, des appels d’offres sont lancés. Et ne pas choisir des fournisseurs au prétexte qu’ils sont chinois reviendrait à faire du favoritisme, ce qui est répréhensible. »

Puis d’ajouter concernant le coût et la qualité  des pavés :

« Par rapport à de la pierre française, leur coût est inférieur de 20 %. »

« Il va de soi que des garanties ont été demandées, et que ces pavés ont subi de nombreux contrôles. Leur qualité est irréprochable, tant pour leur résistance au gel que pour leur capacité à accepter le poids de véhicules lourds porteurs. »

Déminage

L’article de l’Est Républicain se poursuit et Pascal Gudefin achève de déminer la polémique :

[Pascal Gudefin] précise également que tous les pavés, loin de là, ne pro­viennent pas d’Asie. « Les chinois sont ceux qui sont de plus petite taille », explique­-t-­il. Ils sont posés sur une partie du quai Veil Picard, et sur la place de la Révolution.

Mais voilà, à l’évocation de pavés chinois sur le quai Veil Picard, l’auteur de l’article s’est soudainement rappelé de son billet de novembre 2012. Ce billet précédemment évoqué et dans lequel il relatait cette fameuse matinée « découverte du tram ». Et plus précisément lorsqu’il avait écrit que place de la Révolution « les travaux de dallage seront les seuls à utiliser des pavés de Chine, pour être raccord . »
Est-ce à dire que l’on promettait des choses en l’air il y a un an avant l’attribution des marchés ? Tiens tiens…. Ni une ni deux, notre reporter décide alors d’aller vérifier par lui-même sur le parcours du tram si on lui a bien dit toute la vérité …

Non, non, non… J’ai un peu extrapolé là, c’est vrai. En fait, ce dernier paragraphe n’est que science fiction. Personne à l’Est Républicain n’a fait ça. On s’est contenté de diffuser la version officielle telle que le chef du projet de Tram l’a fournie prête à imprimer. Et tout cela sans relever que cette version avait évolué depuis l’an dernier. Voilà qui aurait pourtant pu mettre la puce à l’oreille.

Et pourtant…

Et pourtant des pavés chinois, on n’en trouve pas seulement place de la Révolution à Besançon. La ville de Besançon m’avait d’ailleurs répondu sur ce point via son compte Twitter le 22 août dernier :

twitter-aout

twitter

Dès août l’information avait donc été donnée officiellement : les pavés viennent tous de Chine et on ne les trouve pas seulement place de la Révolution et quai Veil Picard… comme on continue pourtant trois mois plus tard à le dicter à la presse quotidienne.

Et si on vérifiait ?

Samedi 9 novembre, jour de la parution de ce dernier article de l’Est Républicain, je suis monté sur mon vélo électrique (pièces chinoises, assemblage bisontin) équipé de mon smartphone (assemblé en Chine) afin de prendre quelques photos ; avec comme objectif de vérifier cette version officielle lue dans mon journal du matin :

capture

Sur le tronçon Chamars, Grette, Planoise, Hauts du Chazal, je ne trouverai rien : les pavés sont déjà posés et tout est « clean ». Direction donc la partie Est du parcours du tram. Les parties pavées se trouvent principalement aux endroits piétonniers, sur les axes proches de la boucle et sur les places.
C’est parti :

  • Avenue Cusenier où les travaux de pavage battent leur plein :

Cusenier
Nous sommes à 400 m de la place de la Révolution et malgré la « version officielle », les palettes regorgent de pavés chinois estampillés XMSXD.
Et oh ! Suprise ! Ce ne sont pas seulement de « petits pavés » mais aussi de belles dalles de plus de 60 cm de long. Ne devaient-elles pas provenir d’Espagne ou du Portugal ?

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Certaines sont même désignées « bordure » :

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  • Un passage place Flore où le pavage va bon train.
    Là aussi, on trouve des pavés XMSXD :

 Mais aussi du Anjou Granit Import… made in China :

Et des dalles plus grandes dont celles-ci de 60 x 60 cm :

  • Allons maintenant du côté des Vaites. Là le tracé du tramway est moins avancé. Sur un terrain vague, le long du chemin du Vernois, sont stockés les pavés, dalles et bordures de granit qui vont être employés sur la fin du tracé Est.

Et là aussi, surprise. Un peu partout :

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On y trouve même de « petits pavés » d’un mètre de long. Ce sont des dalles en relief pour les non-voyants :

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  • Retour sur le quai Veil Picard dont seuls les « petits pavés » sont supposés venir de Chine…  C’est loupé :

 

En vérité, les petits pavés de droite ET une bonne partie des dalles (pour ne pas dire toutes) que l’on voit à gauche sur la photo viennent de Chine. Les affichettes présentes sur les nombreuses palettes en attestent.

 

Quand à la place Jouffroy d’Abbans en cours de travaux, elle aussi sera recouverte de pavés chinois :

La référence de granit G682 n’est en effet produite qu’en Chine :

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Un petit tour de vélo aurait donc suffi à barrer les mentions inutiles mensongères avant publication. Encore faut-il avoir un vélo.

mentions-inutiles

 Au fait, acheter des pavés chinois, c’est mal ?

Ne nous voilons pas la face. Il a bon dos Michel Omouri de tomber des nues en découvrant que Besançon s’apprête à faire rouler son tramway de marque espagnole sur des pavés chinois. Le granit chinois inonde littéralement le BTP mondial depuis le début des années 2000. Et M.Omouri sait très bien que ce n’est pas l’apanage des villes de gauche que de l’utiliser. Nombre de villes UMP en sont également pavées.

« Les Chinois ont débarqué il y a cinq ans et se sont adjugé depuis la majorité des gros marchés, comme les réseaux de tramways », confirme Philippe Robert, PDG de La Générale de granit, l’une des premières graniteries de France, basée à Louvigné-du-Désert, en Ille-et-Vilaine.
En 1997, la France avait importé 186 tonnes de pavés ou bordures chinois. En 2002, les importations ont atteint 29 398 tonnes et, au premier trimestre 2003, la Chine est devenue officiellement le premier exportateur mondial de granit. Un matériau proposé en moyenne de 30 à 40% moins cher que la production française.
l’Express – Le granit chinois écrase tout (23/10/2003)

Un granit moins cher pour diverses raisons : un coût de la main d’œuvre moins élevé, des conditions de travail moins exigeantes et dont au final on ne sait pas grand chose…  Des contraintes environnementales, fiscales et sociales bien plus souples que celles que nous connaissons en Europe… Autant de raisons qui font que les granitiers français de Bretagne ou des Vosges par exemple ne peuvent plus s’aligner et disparaissent petit à petit. Même le tramway de Brest utilise deux tiers de pavés chinois sur son tracé, c’est dire.

Mais que faire ? Les appels d’offres suivent des règles bien précises et même si l’on pouvait passer outre en y intégrant des exigences de coloris ou de types de granit produit uniquement en Bretagne par exemple, que dirait cette fois les élus d’opposition : que c’est trop cher ? Aurions-nous d’ailleurs les moyens de nous offrir un revêtement en granit à ce prix-là ? Pas sûr.

À la vérité, c’est le système global qui se mord la queue. Les règles de notre système libéral mondialisé nous poussent à scier la branche sur laquelle nous sommes assis.
Nous aurons nos pavés moins chers grâce au granit de Chine ? Soit. Nous sommes satisfaits. Les carrières de granit des Bretagne sont loin d’ici et ça n’entraînera pas de chômage chez nous.
Par contre, les Bretons… dites, ce serait sympa d’acheter Peugeot quand vous changerez de voiture, hein ? Ça crée des emplois chez nous vous comprenez ?

Oui je sais, c’est un peu simpliste mais il y a un fond de vrai, non ?

Et quid de la qualité ?

Là dessus on est en droit de dire… « qui vivra verra » car d’autres villes ont connu des précédents fâcheux. Notamment à Toulouse et Belfort, où il y a quelques années, la place Corbis fut entièrement pavées d’un granit chinois qui ne résista par aux frimas de l’hiver comtois. Alors certes le chef du projet Tram nous promet « une qualité irréprochable » mais comment le croire après ce flagrant « déni » de pavés chinois ?

Pourquoi toutes ces cachoteries ?

Visiblement cette polémique dérange. Elle est lancée par un élu d’opposition à quelques mois des élections municipales. Alors on préfère atténuer les choses en prenant des libertés avec la vérité, au risque finalement d’amplifier ladite polémique : juste des petits pavés, de tout petits pavés et seulement place de la Révolution et un peu sur le quai Veil Picard. Ben voyons…

Peut-être souhaite-t-on également ménager la sensibilité des nombreux aficionados locaux (élus pour certains) d’Arnaud Montebourg et de son combat (au moins médiatique) pour le redressement productif… Des pavés chinois ? Et des gros ? Nombreux en plus ? Vous n’y pensez pas ?

Quant à l’Est Républicain on ne peut pas lui en vouloir d’avaler les couleuvres d’un si fidèle annonceur. Et puis creuser dans le granit, fût-il chinois, c’est bien trop fatigant.

 

Toutes les photos prises lors de ma petite balade à vélo
sont géolocalisées sur cette carte.

19 réflexions sur « Le tram de Besançon pris en flagrant « déni » de pavés chinois »

  1. Moi

    Merci pour le travail d’enquête que nos « médias » locaux n’ont pas été capables de faire. Honte à eux

    1. zorglub

      les médias locaux ont pas vérifié non plus les informations données pourtant par yves calvi à -c’est dans l’air- sur la note de deux sur 20 obtenue pas besançon pour nos impots

  2. danopio

    Les pavés de la rue Battant sont également chinois. Ils ont été posés en 2006, lors du remplacement du pavage de 1987. Des difficultés d’acheminement avaient alors provoqué un retard de plusieurs semaines mais les poseurs étaient bisontins (entreprise Orlandi).

  3. danopio

    (suite) Le monde est un village alors ces pavés chinois pour un tram espagnol… Tout au long du chantier tangentant le CLA, nous avons entendu chanter beaucoup de langues. J’y ai même entendu parler français mais l’entreprise était luxembourgeoise. Ce tram nous a déjà emmenés tout autour de la terre. Il n’y a que le financement qui soit en circuit court.

  4. Pierre

    Faudrait savoir si les bisontins veulent vraiment une facture plus légère pour leur tram…

  5. nisou

    Il semblerait que le granit chinois s’oxyde rapidement, serait poreux et résisterait mal au gel, il ne contiendrait d’ailleurs pas que du granit mais d’autres résidus ferreux d’origine incertaine
    les carrières seraient des lieux idéaux pour des camps de travail

    le réassort ne serait pas assuré

    Les palettes de granit chinois sont aussi incriminées dans l’introduction du capricorne asiatique, celui qui dévore les arbres de l’intérieur(bon ils n’auront pas trop à manger sur le quai dans l’immédiat) et qui a causé de gros souci dans d’autres régions
    voici ce que j’ai pu lire ici ou là
    la loi des marchés publics conduit souvent à des économies à petite vue

  6. domi3955

    Reportage très bien documenté et en conséquence très intéressant. Et oui « c’est le système global qui se mord la queue ».
    Quant à la bonne qualité « chinoise » j’en doute toujours. C’est presque à chaque fois le produit en main qu’on s’aperçoit s’être fait avoir, et ce n’est pas faute de se méfier…

  7. Febvet

    Sicen’estpasduracismeanti-chinois
    …! Lecapricorneest un insecte xylophage.Il y en a très peu dans le granitl dans lequel ils se cassent les mandibules…
    P.S.le tram circulesurles rails, pas sur les pavés !

    1. nisou

      le capricorne asiatique est transporté dans les palettes de granit, il s’en prend aux arbres et aux charpentes de son environnement à l’issue de son grand voyage, les cas d’infestation en Europe sont de plus en plus nombreux entrainant l’abattage de nombreux arbres et d’incinération du bois infecté,

      étude suisse très complète de juin 2013 et qui fait craindre pour les forêts

      http://www.wsl.ch/dienstleistungen/publikationen/pdf/12564.pdf

      La qualité du granit pourra être vérifiée au fil du temps comme la qualité de l’encorbellement(match contre le parapet)

      Après, toute ma sympathie va au peuple chinois, on peut avoir le droit de regretter l’impact environnemental, social et économique de ces choix

      1. fitz

        Merci à nisou pour ce lien. On peut dire que l’enquête des Suisses sur cet insecte et ses dégâts est particulièrement approfondie.

  8. Kalk

    Bonne chance car comme vous dites, chez nous à Belfort les pavés chinois n’ont pas fait long feu…7 ans après tout est à refaire. Merci Jean Pierre Chevènement, celui qui a toujours prôné le made in France et qui fait tout le contraire dans sa ville…faites ce que je dis, pas ce que je fais.

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