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Sarkozy et la LGV ou l’art d’inaugurer le futile en oubliant l’essentiel

5-4-3-2-1-go ! go ! go !

La portière s’ouvre puis se referme.
Le convoi démarre, motards de la Garde républicaine en tête.
La ville, les feux verts, orange, rouges peu importe. On passe.

Le tarmac. Les réacteurs qui sifflent. Quelques militaires au garde-à-vous.
A peine installé que déjà l’avion s’élance et décolle. Cap au sud. Vers la Côte d’Or. Pas de temps à perdre, tout est programmé, minuté, organisé.

Atterrissage, autres militaires, autre voiture blindée. Re-portière, re-convoi et les motards en tête.
Cette fois c’est la province, les gens ne sont pas blasés. Ils regardent passer cette caravane de voitures noires qui n’offre pas de casquettes et ne précède aucun peloton.

Le convoi s’arrête, portière qui s’ouvre, poignées de mains, sourires sincères – ou pas.
C’est la gare de Genlis qui n’est même pas encore sur la LGV ((Ligne à Grande Vitesse)).
Ne pas s’en rendre compte. Marcher vite sur le quai. Être disponible quelques instants pour les photographes, les caméras et les micros de la presse régionale. Puis monter dans ce TGV neuf et propre et s’installer à bord avec quelques ministres et un pool de journalistes autorisés. Patienter un quart d’heure.

Arriver à la gare de Besançon FrancheComté TGV qui n’est pas à Besançon mais à Auxon. Ne pas avoir le temps de s’en apercevoir.
Descendre, poignées de mains, sourires, accolades circonstanciées. Des élus, des hauts fonctionnaires, des entrepreneurs, quelques autochtones triés sur le volet ou invités en remerciement de « services rendus ».

La visite – chronométrée – présentation du matériel, des engins. Se dire impressionné par notre industrie nationale tellement performante.

Puis vite, l’heure qui tourne. Saisir la paire de ciseaux posée sur le coussin, couper le ruban, inaugurer.

Applaudissements.

Petits fours, champagne mais pas le temps. C’est l’heure de la photo.
Alors se placer au centre d’un groupes de techniciens et d’ouvriers avec casques et gilets fluo. Prendre un air paternaliste et fier. Laisser les photographes immortaliser la scène.
Une petite phrase improvisée peut-être.

C’est fait.

Remonter dans le TGV. A bord, discuter avec quelques cheminots. Sourires, poignées de mains, tapes amicales dans le dos et gratitude exprimée à cette « France qui travaille et innove ». Le tout sous les micros et objectifs de la presse conviée.

Descendre en gare de Belfort-Montbéliard TGV – qui se trouve en fait à Meroux, mais tout le monde s’en fout.
Poignées de mains, sourires, quelques accolades circonstanciées. Des élus, des hauts fonctionnaires, une poignée d’autochtones triés sur le volet ou invités en remerciement de « services rendus ».
Visite du petit musée du TGV installé pour l’occasion. S’intéresser, s’émerveiller. Photos, micros, caméras…

Écourter la visite. Le temps qui file. Se diriger à grandes enjambées vers le hall de cette gare où n’a encore retenti aucun

S’installer derrière le pupitre – toujours le même. Adresser une signe de tête doublé d’un sourire à une personne reconnue au premier rang. S’il n’y en a pas, faire semblant. Ça fait « convivial » et c’est parfait pour la télé. Car ça passe à la télé.
Maîtriser ses nerfs, son épaule gauche.

Prendre la parole. Un discours de plus :

[quote]Bla bla bla nouvelle Ligne à Grande Vitesse bla bla premier tronçon Rhin-Rhône bla bla bla Franche-Comté bla bla Belfort bla bla Alstom bla bla bla 30 ans du TGV bla bla 1981 (enfin une raison de célébrer cette année honnie) bla bla industrie de pointe bla bla bla technologie bla bla modernisme bla bla la France qui innove bla bla toujours plus vite bla bla record bla bla 574,8km/h bla bla rayonnement international bla bla exportations bla bla Chine bla bla avenir bla bla je je je je bla bla je vous remercie.[/quote]

Applaudissements

Écouter poliment – non sans impatience contenue – le prochain orateur. S’éclipser. Pas le temps de s’éterniser.
Portière qui s’ouvre, se ferme. Direction l’aérodrome militaire puis Paris.

Achever une demi-journée en province.

…et manquer l’essentiel Monsieur le Président. Le seul véritable événement de la semaine en Franche-Comté : l’arrivée du Mont d’Or nouveau prévue pour ce samedi.
Mais ce fromage – véritable fleuron de notre terroir – on ne le flatte pas avec des records de vitesse. Il ne fonce pas, il coule.
Il faut savoir prendre le temps de le mériter avant de le déguster.
Patienter durant quatre mois – de mai à septembre – pendant que le fromage prend goût.
Alors seulement on peut l’inaugurer – sans cordon ni ciseaux – avec juste un peu d’ail, un verre de vin blanc du Jura et quelques pommes de terre.
La vie quoi, Nicolas. La Grande Vie

LA recette d’été du Haut-Doubs : le « Melon d’Or chaud »

Préparation : 5 minutes
Cuisson : 25 minutes

Ingrédients (pour 2 personnes) :

  • un gros melon bien mûr
  • un demi verre de vin blanc du Jura
  • une gousse d’ail hachée (oui je sais, je n’avais que du congelé pour la photo…)
  • du papier aluminium

Préparation

Coupez le melon en deux dans le sens de la largeur puis évidez-le de ses pépins à l’aide d’une cuillère à soupe.

Entourez la partie arrondie de chaque moitié de melon avec du papier aluminium (voir photo) avant de la déposer dans un plat pouvant aller au four.

Dans le creux laissé par l’ablation des pépins, versez le vin blanc du Jura et déposez l’ail haché.

Glissez le plat au four et laissez cuire durant environ 20 minutes.

Durant les 5 dernières minutes de cuisson, vous pouvez mettre votre four en position grill afin d’obtenir un léger gratiné.

Dégustez chaud. Bon appétit !

Conseils

Vous pouvez ajouter du Comté râpé avant la cuisson (non, pas du gruyère… du Com-té !)
Ce plat se marie merveilleusement avec un jambon cru du Haut-Doubs.

Le bonheur ressenti à la dégustation de cette entrée est proportionnel au volume de Pontarlier (apéritif local) dégusté pendant le temps de cuisson.

L’origine de cette recette

Le Mont d’Or est un fromage traditionnel à pâte molle produit sur le Massif du Jura, dans le Haut-Doubs.

Les habitants du Haut-Doubs, comme leurs cousins du Bas-Doubs et leurs voisins sudistes du Jura, sont littéralement « accros » à ce fromage.

Une journée type pour illustrer cette addiction :

  • le matin, tout commence par des tartines au Mont d’Or ou – pour les plus argentés – par des croissants au Mont d’Or (inside) ;
  • pommes de terre au Mont d’Or à midi ;
  • double tartine Nutella / Mont d’Or au goûter pour les enfants (le Nutella occupant la face de dessous et le Mont d’Or celle du dessus).
  • « boîte chaude » accompagnée de pommes de terre et de saucisses pour finir la journée dans une ultime communion fromagère. Burp !

La « boîte chaude ® » est autrement appelée « Mont d’Or Chaud« . Vous en trouverez la recette ici. Disons que cette recette est le Graal culinaire pour tout Haut-Doubiste en exil loin de chez lui. En revenant au pays, le premier geste de notre expatrié sera toujours d’embrasser père et mère puis d’engouffrer le contenu d’une boîte chaude…

Parfois même l’ingrat ne saluera ses parents qu’après s’être sustenté. La tradition est tenace.

Mais voilà… le 10 mai arrive toujours trop vite dans le Haut-Doubs et cela n’a rien à voir avec une quelconque célébration de l’élection de François Mitterrand en 1981…

C’est juste que le 10 mai – voyez-vous – est LA date fatidique au-delà de laquelle le Mont d’Or ne peut plus être commercialisé… AOC oblige.

Jusqu’au 10 septembre, c’est donc régime imposé et cela dure quatre très longs mois !

Bien sûr, les autochtones ont développé des solutions pour survivre. Certains ont notamment appris à faire des réserves : le Mont d’Or se congèle parfaitement et il reste possible de se régaler d’une petit boîte chaude en plein milieu du mois de juillet. Mais bon, c’est autre chose que « le frais » comme on dit ici.

D’autres ont eu l’idée astucieuse de surfer sur ce manque à combler.

Ainsi, certains industriels ont créé des fromages alternatifs produits tout au long de l’année – ersatz plus ou moins réussis du Mont d’Or.

L’Edel de Cléron est l’un d’eux. On peut à juste titre le considérer comme une sorte de Méthadone pour Haut-Doubiste en période estivale.

Plus raisonnablement, les habitants du « Haut » ont dû adapter leurs habitudes alimentaires aux (fichus) produits de l’été et le Melon d’Or chaud est probablement la version estivale la plus répandue de la boîte chaude.

Une précaution toutefois : évitez les melons du Haut-Doubs. Les premières neiges arrivent souvent avant qu’ils mûrissent (début septembre en général). Ils gèlent donc couramment avant leur cueillette et font de délicieux sorbets.

Un peu d’Histoire

Le Mont d’Or possède la caractéristique appétissante mais néanmoins salissante de se montrer coulant à température ambiante.

La boîte Tupperware ® n’ayant été commercialisée dans nos contrées que fort tardivement, la sagesse comtoise à très tôt recherché LA solution optimale apte à endiguer les velléités coulatoires de ce fleuron de la gastronomie locale.

La légende rapporte que c’est un humble bûcheron de Villers-le-Lac qui aurait trouvé la solution, vers la fin du XVIIIe siècle.
Las d’assister à l’évasion quotidienne de son fromage sur la nappe familiale, notre homme regarda tour à tour sa femme puis sa hache et l’idée ultime lui vint.

Non, non, point d’homicide… Juste une illumination : ce qui fonctionnait sur son épouse pouvait sans doute être adapté au Mont d’Or !

Notre bûcheron eu alors l’idée de ceinturer le fromage d’une sangle en écorce d’épicéa et de ranger le tout dans une boîte du même bois !

Ce mec était génial ! Tellement génial que sa solution fut adoptée en quelques années par l’ensemble des fromagers « Mont d’Oristes« .

Aujourd’hui encore, c’est sous cette forme que l’on achète le Mont d’Or. Il s’agit d’ailleurs de l’une des caractéristiques de l’Appellation d’Origine Contrôlée qui garantie l’élaboration de ce fromage depuis 1981.

Je suis prêt à parier que vous regarderez désormais votre boîte de Mont d’Or d’un oeil différent… mais pour cela il faudra attendre le 10 septembre.

Pour patienter, régalons-nous d’un bon « melon d’Or Chaud » !